Mercoledì, 27 Aprile 2011 18:41

Grégoire le Grand (Marie-Laure Chaïeb)

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L'homélie 23, qui commente Luc 24, 13-35 (les disciples d'Emmaüs) a été prononcée le mardi de Pâques 17 avril 591, à la basilique Saint-Pierre; elle est particulièrement courte - ce qui est rare -, mais condense tout de même bon nombre des caractéristiques habituelles du style de Grégoire.

Grégoire le Grand

 Marie-Laure Chaïeb

Le livre II des Homélies de Grégoire le Grand, publié dans la collection des «Sources chrétiennes» (n° 522, 2008), rassemble des commentaires des évangiles datés des années 591 à 593, notamment autour des fêtes pascales. L'homélie 23, qui commente Luc 24, 13-35 (les disciples d'Emmaüs) a été prononcée le mardi de Pâques 17 avril 591, à la basilique Saint-Pierre; elle est particulièrement courte - ce qui est rare -, mais condense tout de même bon nombre des caractéristiques habituelles du style de Grégoire ; la voici en intégralité :

 

Homélie 23, sur Luc 24, I3-35

1. À vous qui prenez la peine de venir chaque jour à l'office solennel, peu de choses sont à dire; et peut-être ce peu de paroles sera-t-il plus utile, car souvent des aliments moins abondants sont pris avec plus d'avidité. J'ai donc décidé d'exposer sommairement le sens de la lecture évangélique, et non mot par mot, pour ne pas faire peser sur votre charité un commentaire trop prolixe. Vous l'avez entendu, frères très chers, le Seigneur apparut à deux disciples qui marchaient sur la route: ils ne croyaient pas et pourtant ils parlaient de lui. Mais il ne se montra pas à eux sous des traits qui pussent le faire reconnaître. Il réalisait au-dehors pour leurs yeux de chair ce qui se passait au-dedans pour les yeux de leur cœur. Car en eux-mêmes, au-dedans, c'était à la fois l'amour et le doute, et au-dehors le Seigneur leur était présent, mais ne montrait pas qui il était. Ils parlaient de lui, il se montra présent ; mais comme ils doutaient de lui, il leur cacha les traits qui leur aurait permis de le reconnaître. Il conversa avec eux, il leur reprocha la dureté de leur intelligence ; il leur découvrit les mystères de la sainte Écriture qui le concernaient, et pourtant, puisque dans leur cœur, pour leur foi, il était encore un étranger, il feignit d'aller plus loin. Nous employons fingere « feindre» au sens de componere « façonner », et c'est pourquoi nous appelons figuli [« potiers »] ceux qui façonnent l'argile. La Vérité, qui est simple, n'a rien fait par duplicité, mais s'est montrée à eux corporellement, telle qu'elle était dans leur esprit. Il fallait les éprouver pour voir si ceux qui ne l'aimaient pas encore comme Dieu pouvaient du moins l'aimer comme étranger. Ils ne pouvaient être étrangers à la charité, puisque la Vérité marchait avec eux, et ils l'invitent à être leur hôte comme on le fait pour un étranger. Pourquoi disons-nous : « ils l'invitent », alors qu'il est écrit : « ils le pressèrent » ? De cet exemple, on peut conclure qu'il ne faut pas seulement inviter les étrangers comme hôtes, mais les entraîner. Les disciples mettent la table, apportent les mets, et reconnaissent dans la fraction du pain le Dieu qu'ils n'avaient pas reconnu quand il expliquait la sainte Écriture.

2. En écoutant les commandements de Dieu, ils n'ont pas été éclairés; en les pratiquant, il sont été éclairés. Car il est écrit: « Ce ne sont pas ceux qui écoutent la Loi qui sont justes devant Dieu, mais ceux qui la mettent en pratique seront justifiés » (Rm 2, 13). Celui donc qui veut comprendre ce qu'il a entendu, qu'il se hâte d'accomplir ce qu'il a déjà pu comprendre. Le Seigneur n'a pas été reconnu pendant qu'il parlait, mais a daigné se faire reconnaître pendant le repas offert. Aimez offrir l'hospitalité, frères très chers, aimez la pratique de la charité! Paul nous dit: « Que l'amour fraternel demeure en vous, et n'oubliez pas l'hospitalité; grâce à elle en effet, quelques-uns ont plu, donnant l'hospitalité à des anges» (He 13, 1-2). Et Pierre dit: « Pratiquez l'hospitalité les uns envers les autres sans murmurer » (1 P 4, 9). Et la Vérité elle-même : « J'étais un étranger et vous m'avez accueilli » (Mt 2 5, 35). L'histoire est bien connue, nos Anciens nous en ont transmis le récit. Un père de famille, avec toute sa maison, pratiquait le service de l'hospitalité avec beaucoup de zèle. Chaque jour, il recevait des étrangers à sa table. Un jour vint entre autres un étranger, et on le conduisit à table. Le père de famille, avec son humilité habituelle, allait lui verser de l'eau sur les mains; il se retourna pour prendre la cruche, mais soudain il ne trouva plus celui sur les mains de qui il voulait verser l'eau. Comme, en lui-même, il s'étonnait de ce fait, la nuit suivante, le Seigneur lui dit en vision: « Les autres jours, tu m'as accueilli dans mes membres, hier tu m'as reçu en personne. » Et quand il viendra pour le jugement, il dira: «Ce que vous avez fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous l'avez fait» (Mt 25, 40). Mais voilà qu'avant le jugement, tandis qu'il est reçu dans ses membres, c'est encore lui qui recherche lui-même ceux qui le reçoivent. Et cependant, pour la grâce de l'hospitalité, nous sommes paresseux. Mesurez bien, frères, la puissance de l'hospitalité. Recevez le Christ à votre table, pour qu'il puisse vous recevoir au festin éternel. Offrez maintenant l'hospitalité au Christ étranger, pour qu'au jour du jugement, il ne vous ignore pas comme des étrangers, mais qu'il vous reçoive comme siens dans son Royaume.

Commentaire

Comme en miniature, cette brève homélie condense les caractéristiques habituelles des commentaires des Écritures de Grégoire. Tout d'abord, Grégoire a le génie de s'adapter à son auditoire; alors qu'il est capable de commentaires très serrés et approfondis lorsqu'il s'adresse à des moines ou à des pasteurs, il sait aussi rester accessible et viser l'essentiel lorsqu'il s'adresse, comme ici, aux fidèles quotidiens. Savoir ne pas tout dire ; réfréner par souci de l'autre son érudition. Préférer, lorsque cela est plus adapté, la parabole populaire du père de famille recevant Dieu lui-même à son insu, plutôt qu'un discours théorique qui serait moins évocateur. Grégoire montre aussi dans cette courte homélie ce que signifie pour lui expliquer l'Écriture: même dans ce cadre très bref, il juge opportun d'émailler son commentaire de cinq citations d'autres passages, illustrant par là la méthode sûre qui consiste à expliquer l'Écriture par elle-même, à s'appuyer sur la cohérence globale de la Bible avant de recourir à des éléments extérieurs. Mais Grégoire s'inscrit aussi dans une Tradition d'interprétation : avant lui d'autres pères - et notamment saint Augustin - avaient souligné l'hospitalité comme pointe théologique de ce passage: l'accueil de l'autre comme brèche qui permet de recevoir le Tout-Autre. Il sait donc rester fidèle à la Tradition, tout en la formulant avec son talent propre ; Grégoire aime les mots, mais ce n'est jamais sans lien avec le sens: un petit jeu de mot sur le Christ feignant de s'éloigner (fingere), lui permet d'ouvrir une perspective sur l'absence de duplicité en Dieu: si le Christ fait semblant de s'éloigner, ce n'est pas pour tromper les disciples, mais pour façonner en eux comme le potier originel (figulus) les conditions de possibilité de sa Révélation. Grégoire connaît l'âme humaine et sait manier la parole pour la toucher, comme en témoignent ses formules si denses sur la vie spirituelle : « Ils parlaient de lui, il se montra présent; mais comme ils doutaient de lui, il leur cacha les traits qui leur aurait permis de le reconnaître », ou encore: « Celui donc qui veut comprendre ce qu'il a entendu, qu'il se hâte d'accomplir ce qu'il a déjà pu comprendre. »

 

(La vie spirituelle, n° 791, novembre 2010,  p. 563)

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Fausto Ferrari

Religioso Marista
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