Venerdì, 03 Maggio 2019 23:37

L'édification d'une monarchie pastorale (Jean-Philippe de Tonnac)

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Du Ve au XIe siècle, de Léon 1er à Grégoire VII, la papauté se livre à un bras de fer avec les puissances impériales pour s'affranchir de leur tutelle politique. À la tête d'une bureaucratie et d'un patrimoine étendus, l'évêque de Rome, désormais « Vicaire du Christ », travaille à une « Église universelle » prospère et influente.

La manière dont les héritiers de saint Pierre ont su manœuvrer pour faire plier leurs adversaires, et consacrer le siège apostolique comme centre incontesté de la chrétienté, a questionné ou heurté parfois, non seulement leurs adversaires, mais les chrétiens eux-mêmes. Ce bras de fer avec les puissances régnantes, qui tourne en faveur des souverains pontifes, est illustré par l'épisode gravé dans l'histoire sous le nom de « pénitence de Canossa ».

Nous sommes à l'époque où le pape et l'empereur germanique se disputent l'« investiture » des évêques. Le prince contrôle la nomination aux principaux bénéfices et remet lui-même, lors de la cérémonie d'investiture, la crosse et l'anneau au prélat désigné - cérémonie précédée de l'immixtio manuum (« mélange des mains »), constitutif de l'hommage féodal. Ancien moine de Cluny sous le nom d'Hildebrand, Grégoire VII (1073-1085) tente de redonner sa dignité à l'épiscopat en le libérant de sa tutelle politique et engage la papauté sur la voie d'une monarchie théocratique, théorisée en 1075 dans son Dictatus papae (L'Édit du pape), par lequel il entend désormais soustraire la nomination des évêques à l' empereur. Le sang d'Henri IV s'échauffe: il fait déposer Grégoire qui, en retour, excommunie l'empereur. Libérés de leur serment, les vassaux d'Henri IV mettent aussitôt la main sur des biens qui leur avaient été confisqués. Ils vont plus loin. Ils élisent un autre souverain. Un concurrent.

« Aller à Canossa »

Les vents tournent vite. Politiquement isolé, Henri IV se ravise et décide de faire, en plein hiver, le voyage en Italie pour obtenir la mansuétude du pape. Celui-ci est retiré dans le château de Canossa (Émilie-Romagne). La légende raconte qu'avant de lui ouvrir, le pape le fait patienter trois jours, pieds nus dans la neige. L’expression « aller à Canossa » est passée dans le langage courant pour désigner une capitulation. Rien n'est réglé pour autant mais, d'un point de vue symbolique, la papauté vient de remporter une victoire cinglante. La trêve est de courte durée.

Henri IV fait élire en 1080 un « antipape » et envahit Rome. Grégoire VII se réfugie dans sa forteresse du célèbre château Saint-Ange, avant de s'exiler. Il laissera ces mots en épitaphe: « J'ai aimé la justice et haï l'iniquité. » Quand bien même leur magistère et les méthodes employées sont contestés, les papes, à partir de Léon 1er (440-461) et jusqu'à la réforme à laquelle Grégoire VII (1073-1085) donne son nom (mais qui ne saurait se résumer à son règne), entreprennent de repenser l'organisation politique, sociale et culturelle du monde occidental.

Les prédécesseurs de ce pape qui fait languir l'empereur dans la neige sont nombreux à s'être affrontés aux pouvoirs laïcs et à avoir contribué à redorer le blason papal. Certains historiens hésitent à parler ainsi de réforme grégorienne, préférant évoquer une « réforme léonide ». Peu importe si l'on accepte de faire figurer sur la photo des réformateurs les premiers et seconds rôles et de mentionner les alliés même involontaires de la papauté. Chronologiquement, Léon 1er vient en premier qui, au concile œcuménique de Calcédoine (451), rappelle aux familles chrétiennes d'Orient tentées par le monophysisme, défendu par l'archimandrite Eutyclès et le patriarche d'Alexandrie Dioscore, que l'Église, elle, estime que l'union des deux natures du Christ, humaine et divine, n'a pas aboli les différences. L’assemblée s'exclame: « C'est Pierre qui parle par la bouche de Léon. » Petite victoire, néanmoins, puisque le concile refuse de trancher en faveur de Rome dans la lutte qui l'oppose à Constantinople pour le leadership du monde chrétien. Pour Léon 1er, Pierre est toujours présent dans l'Église, et c'est lui qui transmet à son successeur son autorité suprême. C'est donc au siège apostolique, Rome, qu'incombe la mission de diriger l'Église.

Une grande réforme morale

Quant aux querelles qui opposent le pape et l'empereur byzantin, Gélase 1er (492-496) résume la position des continuateurs de Pierre: « Deux pouvoirs règnent sur le monde: le pouvoir sacré des évêques et le pouvoir des rois. Le pouvoir des évêques l'emporte d'autant plus sur celui des rois que les évêques auront à répondre au tribunal de Dieu de tous les hommes, fussent-ils rois. » Le pape, qui donne véritablement sa dimension politique à la papauté, est un moine obsédé par les signes des temps. Pour Grégoire le Grand (590-604), le monde est proche de sa fin. En attendant, les défaillances de l'Empire, la léthargie du Sénat romain l'amènent à s'immiscer dans tous les domaines du temporel et sans grande pudeur: nomination du préfet de Rome, conseil aux chefs militaires, négociation des trêves et des traités.

A la faveur des crises politiques, l'Église est devenue la première puissance économique de la Péninsule. Mais c'est surtout à une réforme morale que Grégoire s'attelle en dénonçant à travers sa Règle du pasteur (591) la simonie (vente de biens spirituels) et en n'hésitant pas à se débarrasser de religieux indignes. Le pape, comme ses grands successeurs, travaille, au-delà des vicissitudes de l'histoire, à une « Église universelle » (catholique) à laquelle il aura donné un commencement de réalité.

Latran, nouveau centre de gravité

Lorsque les papes se tournent vers l'Occident pour réclamer la protection des rois carolingiens, auréolés de leur victoire contre les Sarrasins, c'est pour poursuivre ce bras de fer entamé avec l'Empire aux prises désormais avec l'iconoclasme. Le souverain pontife est à présent à la tête d'un patrimoine étendu, dont le patriarcat de Latran constitue à la fois le siège du gouvernement de l'Église et le centre de gravité de toutes ses activités politiques - qui, au moment où Charlemagne, le « nouveau Constantin », est couronné à Rome (décembre 800), n'ont jamais été aussi intenses.

Pour Charlemagne, le nouvel empire chrétien qui voit le jour est franc avant d'être romain, lorsque pour le pape Léon III (795-816), Rome, sous la protection de son nouvel allié, est bien le centre incontesté de la chrétienté. La division des rois carolingiens à la mort de Charlemagne va servir l'ambition de souverains pontifes qui, à l'image de Nicolas ler (856-867), l'un des plus grands papes du Moyen-Age, vont concevoir et mettre en œuvre une véritable « monarchie pastorale ». De telle sorte que lorsque les empereurs germaniques viendront mettre Rome sous tutelle, la grande réforme - dont l'abbaye de Cluny, fondée en 910, symbolise le foyer intellectuel bouillonnant et les magistères de Grégoire VII, Urbain II et Léon IX le théâtre - ne s'arrêtera pas.

Vers l'infaillibilité pontificale

L’évêque de Rome œuvre sur deux fronts: il prend en charge l'antique caput orbis terrarum (« capitale du monde ») en procédant à une centralisation de tous les pouvoirs. Soucieux, d'autre part, de poursuivre l'œuvre apostolique et de se garantir contre les menaces que font peser du dedans les hérésies et l'islam du dehors (la première croisade est prêchée à Clermont par Urbain II le 27 novembre 1095), il n'a de cesse d'affermir l'assise de l' orbis christianus (le « monde chrétien »). Pièce évidemment essentielle du dispositif, l'élection du pape échoit sous Nicolas II (1058-1061) aux cardinaux évêques, qui forment avec les cardinaux diacres et les cardinaux prêtres le Consistoire, à la dévotion du souverain pontife arborant désormais le manteau rouge, le sceptre et la tiare.

Cessant de s'en référer à Pierre, les réformateurs avancent le titre de Vicarius Christi (le « Vicaire du Christ ») autour duquel ils vont bâtir la doctrine de l'infaillibilité pontificale. Le dispositif s'enrichit d'un chancelier, homme fort de la curie entouré d'une armée de notaires; de légats qui sont les représentants du pape partout où il ne peut se rendre et qui en imposent au clergé local; d'un camérier qui prend en charge la fiscalité pontificale concernant les États pontificaux et les revenus extraterritoriaux. La richesse matérielle de l'Église semble désormais participer ostensiblement de la gloire de saint Pierre.

La bureaucratie romaine désormais pléthorique se dote, grâce au Concordia discordantium canonum de Gratien (1140-1150) - plus connu sous le nom de Décret, tentative d'harmonisation du droit canon élaboré depuis plus de mille ans -, d'un véritable outil d'administration et de gouvernement. Pour affirmer son statut de caput orbis terrarum, Rome accueille au Latran le premier concile œcuménique occidental en 1123, qui vient entériner symboliquement le concordat de Worms agréé l'année précédente et le terme de la querelle des investitures au profit de la papauté.

L'appui des ordres mendiants

La curie est donc désormais en position de puissance pour entreprendre de régenter la société médiévale au plan intellectuel, moral et spirituel. Elle va le faire en accordant un privilège pontifical à des communautés de maîtres et d'étudiants qui, échappant à l'emprise des pouvoirs civils, vont dépendre directement du Saint-Siège. Celui-ci garde ainsi un droit de regard sur l'activité intellectuelle dans toute l'Europe (première mention du mot « Europe» dans une lettre de Grégoire le Grand à l'empereur Maurice en 595).

De la même façon, la papauté comprend tout l'intérêt pour elle de s'appuyer sur les ordres mendiants, et notamment les dominicains et les franciscains, dont l'idéal évangélique les place en situation de supporter la comparaison avec des communautés « hérétiques » très populaires dans certaines régions, comme les Vaudois ou les Cathares, qui contestent à Rome sa légitimité apostolique. C'est d'ailleurs aux dominicains qu'elle va confier la mission inquisitoriale. On est passé insensiblement de la persuasio à la coercisio.

Jean-Philippe de Tonnac

(Le monde des religions, n. 46, mars-avril 2011, p. 22)

 

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Fausto Ferrari

Religioso Marista
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