Si l'archéologue britannique Sir John Eric Thompson, l'un des plus éminents mésoaméricanistes du XXe siècle, s'était douté de l'interprétation qui serait donnée de ses travaux sur le monde maya, peut-être se serait-il contenté de fouiller au Mexique sans diffuser ses découvertes. L'objet du délit? avoir montré, après John Goodman et Juan Martinez Hernandez, les corrélations — dites «GMT», des initiales des noms de ses découvreurs — entre le compte long du calendrier maya, système de datation en vigueur dans cette civilisation obsédée par la puissance du temps, et notre calendrier.
Le treizième «baktun»
Pour établir ce lien, J.E. Thompson se réfère à un texte bref et lacunaire issu d'un monument maya découvert dans les années 1950 à Tortuguero, au Mexique. Il y lit que «le treizième baktun se terminera un jour 4 ahau 3 kankin». Que signifie donc cette inscription, sachant que le baktun correspond à un cycle de 144 000 jours (394 ans) et que, si on le multiplie par 13, on arrive à une période de 5 122 ans ? Une autre inscription, à vrai dire elle aussi sujette à interprétation, ajoute au mystère : «Se produira [...] la descente de Bolon Yokte (une divinité chtonienne liée aux conflits, à la guerre, mais aussi à la Création) à [...].»
Pour autant, l'énigme reste entière : comment dater la fin de ce fameux treizième baktun ? Comme d'autres civilisations mésoaméricaines, les Mayas disposaient de plusieurs systèmes calendaires différents, chacun d'entre eux étant attaché à une intention précise. Entre autres: le tzolkin, un calendrier rituel et sacré de 260 jours (13 fois 20 jours) et le haab, un calendrier singulièrement performant dont on se servait dans la vie quotidienne et qui rendait compte d'une année de 365 jours. La concordance de ces deux calendriers — tzolkin et haab — avait lieu tous les 18 980 jours, soit tous les 52 ans, coïncidence qui signalait alors un risque de «fin du monde», comme l'univers en avait déjà connu selon leur singulière vision du monde. Ces deux calendriers ne mentionnant pas les années, les Mayas usaient d'un autre système, le «compte long», qui leur permettait de se situer dans l'Histoire et qui partait d'un supposé point d'origine, comme lorsque nous faisons débuter notre civilisation à la naissance du Christ, comptant ainsi à partir de cette date.
Début d'un nouvel âge
Ce «compte long» couvre justement 13 baktun: l'inscription de Tortuguero marquerait donc la fin d'un cycle, tout comme un siècle peut le représenter pour nous. Selon certains calculs - qui ne font pas l'unanimité chez les mésoaméricanistes — le cycle des 13 baktun aurait débuté le 11 août 3114 avant notre ère. Et s'achèverait le 21 décembre 2012. Il n'en fallait pas davantage pour que naisse, dans les années 1980, l'amorce d'un mouvement apocalyptique planétaire, initié par José Argüelles. Ce «mayaniste» (1) américain convaincu va s'emparer de cette fameuse date et la décliner à l'envi. Dans Le Facteur maya, un livre publié en 1987, il affirme que le 21 décembre 2012 marquera un changement dans la conscience mondiale, mais aussi le début d'un nouvel âge. En outre, cette idée - qui s'appuie sur de mystérieuses révélations, soi-disant données par les Mayas eux-mêmes - va bénéficier de la promotion de la «convergence harmonique», un rassemblement qui s'est tenu les 16 et 17 août 1987 en différents points de la planète, des hauts lieux de préférence, et dont l'objectif était de rassembler 144000 personnes méditant pour la paix afin de provoquer un changement collectif et de sauver le monde de la destruction.
«Les Mayas savaient»
On en vient vite à attribuer à José Argûelles lui-même la datation du 21 décembre 2012, une datation qu'il confirmera en réinterprétant les calendriers mayas à l'aide d'éléments puisés, entre autres, dans le Yi-King. Il établit ainsi un tout nouveau calendrier, le «maya galactique», par opposition aux calendriers «mayas indigènes».
Bon communiquant, le mayaniste «sent» vite que le village global relié par Internet est une cible idéale: les sites ésotériques et apocalyptiques dédiés à la «prophétie maya» vont désormais envahir la Toile. Le cinéma et la télévision surfent, eux aussi, sur la vague de cette rumeur planétaire en traitant de cette catastrophe qui aurait été ainsi «prophétisée» par les Mayas, et prétendument confirmée par des astrologues et des scientifiques.
Certains tenants de cette fin du monde annoncée nuancent pourtant l'angoisse collective en affirmant que «les Mayas savaient». Quoi? Que le 21 décembre 2012 sera une «renaissance» et le «début d'un nouvel âge mondial». Ou bien un antidote comme un autre à la grande déprime planétaire?
Florence Quentin
1) Le mayanisme est un terme désignant les croyances New Age qui s'appuient sur la mythologie maya.
(Le Monde des Religions,novembre-décembre 2011, dossier Les prophéties de la fin du monde, 20-21)