Cet article reprend en le résumant le propos d’un livre écrit par le P. Olivier Laurent, mariste : « La vie religieuse au risque de l’avenir. Entre extinction ou renouveau » En attente de son édition espérée, l’auteur présente ici le contenu de ses réflexions et propositions.
Faut-il en finir avec la vie religieuse ?
Pourquoi oser une réponse à cette question posée par un éditeur pour donner un titre à ce projet d’écriture ?
Arrivé au soir de ma vie, j’ai désiré prendre le temps d’en faire la relecture et de partager quelques réflexions sur cette question qui m’habite.
Né à Paris, en octobre 1942, au cœur de la seconde guerre mondiale, je suis entré en religion dans la Congrégation des Pères Maristes que j’ai connue durant mes études secondaires. Nous étions à l’aube du Concile Vatican II, portés par un fort désir de renouveau dans l’Eglise. J’ai eu à traverser les crises qui ont vidé les maisons de formation après 1968. J’ai effectué mes études de théologie aux Facultés Catholiques de Lyon, après avoir terminé une maîtrise en géographie. Puis je me suis spécialisé dans l’étude des banlieues populaires dans les villes africaines. Pendant 10 ans, j’ai animé, avec une équipe de jeunes cadres sénégalais, un projet conjoint au Gouvernement du Sénégal et au Programme des Nations Unies pour l’environnement, consacré à l’amélioration des conditions de vie dans un bidonville suburbain de Dakar. J’y ai vécu, au quotidien, la rencontre et le travail avec des collaborateurs en majorité musulmans.
Après une année sabbatique à Paris, où j’ai pu travailler au Centre Sèvres avec des Pères Jésuites sur le dialogue interreligieux, je suis reparti au Sénégal pour mettre en place et prendre en charge la formation des premiers jeunes pères Maristes africains. Pendant une vingtaine d’années, j’ai eu à créer, puis à diriger le Centre Saint Augustin, pour l’enseignement de la philosophie aux séminaristes de trois congrégations. Puis, après trois ans dans cette fonction, je suis devenu Maître des novices pendant 8 ans, puis responsable de la candidature et enfin supérieur majeur du District Mariste d’Afrique.
De retour en France, au seuil des années 2000, j’ai travaillé à Paris, pendant 4 ans au Forum 104 qui est un lieu de rencontre et de dialogue entre des chrétiens et des personnes engagées dans les nouvelles quêtes spirituelles, ou vivant dans d’autres traditions religieuses. Et, par la suite, j’ai été envoyé à Toulon, pendant treize ans. Là, j’ai crée, en cœur de ville, un centre culturel et spirituel.
Tout au long de ce parcours les questions n’ont pas manquées. Et celles-ci m’ont sans cesse renvoyées à cette interrogation fondamentale : Comment la vie religieuse incarne-t-elle, aujourd’hui, la suite du Christ et le service des personnes dans ce monde en pleine mutation ?
Pour tenter d’y répondre, je me dois de dire que mon propos restera fortement limité parce que la plupart des consacrés sont aujourd’hui des femmes et que je suis héritier, non de la tradition monastique, mais de ce qu’on a appelé les congrégations actives, engagées dans divers apostolats et ne vivant pas sous le régime de la clôture monastique.
Vivre les yeux ouverts dans ce monde en mutation.
Nous sommes au cœur de la tempête et certains se demandent si nous ne vivons pas la fin du monde, tandis que d’autres préfèrent dire que c’est aujourd’hui, la fin d’un monde. Si nous sommes dans un moment de refondation du monde, d’engendrement d’une nouvelle civilisation, que deviennent nos grandes traditions religieuses et leurs institutions ?
Nos sociétés sont de plus en plus fracturées et inégalitaires. Elles luttent entre elles pour s’approprier les ressources de la terre, nécessaires pour continuer de se développer selon un modèle consumériste, menacé d’obsolescence.
Les grandes religions du monde sont interpellées, particulièrement l’Eglise Catholique, traversée par de nombreuses crises, notamment celle des abus sexuels et celle de ses modes de gouvernance.
L’Agnosticisme et l’indifférence gagnent un grand nombre de personnes et une profonde crise de la foi affecte particulièrement les vieilles chrétientés de même que la vie consacrée.
Les congrégations religieuses connaissent un vieillissement accéléré ; ce qui entraîne une forte diminution de leurs effectifs, insuffisamment compensée par une relève venue des pays du Sud. Mais ces jeunes ne doivent pas être considérés comme des faire valoir qui permettraient aux congrégations de se maintenir en l’état, encore pendant quelques temps.
Les entreprises d’aggiornamento qui ont suivi le Concile Vatican II ont-elles portés leurs fruits ? Il convient de se demander si les renouveaux, alors entrepris, ont suffi à redonner un élan durable à la vie religieuse ? Il y a une grande diversité des situations et des contrastes entre vieilles chrétientés et jeunes églises, mais il me semble que les grands changements du monde qui nous affectent tous ne peuvent être éludés. Et que perdrait-on si la vie religieuse venait à disparaître ?
Peut-on regarder cette réalité en face et faire place aux questions qu’elle nous pose ?
Un confrère Néo-Zélandais, le Père Justin Taylor, historien et exégète de l’Eglise des temps apostoliques avait été invité à animer une retraite dans les diverses unités de notre congrégation, en s’appuyant sur la pensée de notre fondateur, Jean Claude Colin.
Et il avait intitulé cette retraite : « Repartir à zéro. » Et pour ce faire il nous proposait une relecture de nos sources et textes fondateurs.
Nous vivons dans une société de l’immédiat et des réponses binaires : oui/non. Il n’y a plus de place pour la nuance et le temps long. Or l’histoire de l’Eglise nous apprend que l’incarnation du message évangélique ne peut faire l’économie de l’espace et du temps. La diversité des lieux et des sociétés interpelle nos tentations d’uniformité et nos prétentions universalistes. Alors, il nous faut consentir aux germinations lentes et renoncer à vouloir tout maîtriser en croyant que tout dépend de nous et de notre seule volonté. Il s’agit de se laisser conduire par l’Esprit qui, comme le vent, souffle où il veut et nul ne sait d’où il vient ni où il va.
Accueillir dans la patience l’inattendu, l’inouï, l’ailleurs, l’autrement. L’important, c’est de prendre la route, habités par l’espérance qui fait marcher plus loin que sa peur.
Regarder avec bienveillance et lucidité ce monde nouveau qui s’enfante dans la douleur et l’espoir.
Les deux crises, économique et climatique, que nous traversons actuellement se renforcent et menacent l’avenir de notre humanité.
Et dans ce monde global en genèse, les espaces géopolitiques sont en pleine reconfiguration. Le monde Occidental n’est plus le seul acteur déterminant et doit de plus en plus céder sa place aux nouveaux pays émergeants du Sud.
Dans ce contexte, les grandes traditions spirituelles sont profondément interpellées, voire remises en question. Les chrétiens n’échappent pas à cet ébranlement et ne peuvent pas faire l’économie d’un bilan et d’un renouveau.
Devant ces nouveaux défis, les tentatives de repli, de retour à un passé idéalisé, d’un arrêt sur image ou au contraire de fuite en avant sont nombreuses, mais souvent vouées à l’échec, car elles n’apportent pas de réponses satisfaisantes aux questions nouvelles.
Cela est d’autant plus difficile que les mots pour dire la foi sont usés et que le fossé culturel se creuse entre les tenants de la post modernité et les chrétiens, héritiers d’un message qui n’est plus bien reçu dans ses anciennes formulations.
S’enraciner dans une histoire.
Depuis des siècles et avant même son existence dans le christianisme, des femmes et des hommes se sont engagés dans une démarche spirituelle que l’on a appelé la vie consacrée. Citons, pour mémoire, les expériences chamaniques, le monachisme hindouiste ou bouddhique puis plus tard celles des soufis dans l’Islam. On y constate l’adoption d’un mode de vie ascétique, pratiqué en soutien d’expériences mystiques pour entrer en communion avec l’invisible, celui qui est à l’origine des mondes et de la vie.
Cet héritage est encore vécu aujourd’hui par des femmes et des hommes dans des sociétés asiatiques, africaines, ou sud américaines. Il existe donc diverses formes de vie consacrée dans notre société mondialisée.
A l’origine, dans le Christianisme, la vie religieuse s’est développée selon le modèle monastique et elle concerne aussi bien les femmes que les hommes. Au fil de l’histoire et des évolutions sociales et culturelles, notamment avec l’émergence des villes, cette vie monastique ne convenait plus aux nécessités du temps. Alors sont apparues des congrégations organisées pour fournir des missionnaires et annoncer l’Evangile au Nouveau Monde et aux peuples de l’Asie, pour prêcher, en itinérance, l’Evangile dans les villes et les campagnes. Et se rendre disponibles pour accomplir les œuvres de miséricorde, notamment le service des pauvres, l’éducation des enfants et le soin des malades.
Ainsi sont nées de très nombreuses congrégations de femmes et d’hommes. Et aujourd’hui, les religieuses constituent la majorité des personnes consacrées.
Parmi les religieux, certains sont prêtres et ils représentent un groupe particulier. Dans le passé, ils ont pu être considérés comme l’élite des consacrés, avec une prééminence sur les religieux non clercs et les religieuses. Mais la vie consacrée et le sacerdoce sont deux réalités distinctes. La première est un état de vie, le second est un ministère.
La vie religieuse ébranlée.
La vie religieuse n’échappe pas à la crise et se trouve profondément ébranlée. Les effectifs des congrégations, tant masculines que féminines, connaissent une diminution qui avoisine souvent plus de 50% de leurs membres. Le vieillissement de ces derniers et la faible relève- qui peut être parfois inexistante depuis des décennies- les conduisent à l’extinction, sinon, à une forte diminution de leur présence active dans la vie ecclésiale. Certains diocèses n’ont plus de religieux.
L’insistance sur la liberté individuelle et la nécessaire autonomie personnelle remettent en question la nécessité d’appartenance à un groupe, à un corps, à une institution. Elles renforcent la tendance de chacun à se fabriquer une religion, une spiritualité à la carte, en puisant dans diverses traditions d’Orient ou d’Occident, interprétées à sa convenance.
Quant aux grandes intuitions du Concile Vatican II qui ont permis le bel aggiornamento du XXème siècle, elles se trouvent à nouveau interpellées aujourd’hui, car depuis 60 ans, notre monde a profondément changé. Le Pape Benoît XVI en faisait lui-même le constat en déclarant que : « le Christianisme aujourd’hui n’est plus la matrice de notre culture et chacun construit son propre univers de sens. »
Tous les baptisés sont appelés à la sainteté.
Toutefois ce Concile nous a légué le renouveau de la théologie de l’Eglise. Celle-ci est présentée comme le Peuple de Dieu en marche où tous les baptisés sont appelés à vivre en disciples et témoins de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ. De ce fait, il convient de se demander à quoi bon la vie religieuse. Si tous sont appelés à la sainteté, à devenir messagers de la Bonne Nouvelle et à manifester l’amour de Dieu pour les petits et les pauvres, est-il encore besoin de s’engager dans la vie religieuse, considérée hier comme la meilleure part et la voie royale pour assurer son salut ?
Reprendre la route
Le pape François dans son homélie pendant la messe de clôture du Synode sur la synodalité a déclaré : « Face aux questions des femmes et des hommes d’aujourd’hui, aux défis de notre temps, aux urgences de l’évangélisation et aux nombreuses blessures qui affligent l’humanité, nous ne pouvons rester assis. Nous avons besoin d’une Eglise qui accueille le cri du monde et qui se salit les mains pour le servir. Pas une Eglise assise mais une Eglise debout…Pas une Eglise statique mais une Eglise missionnaire, qui marche avec le Seigneur sur les routes du monde. Déposons le manteau de la résignation, confions notre cécité au Seigneur, levons-nous et portons la joie de l’Evangile sur les chemins du monde. »
Le fondateur des Pères Maristes, Jean-Claude Colin, s’adressant à ses premiers compagnons, pendant les troubles politiques de son époque leur disait : « Messieurs, messieurs, les temps sont mauvais… alors animons-nous » Et il était convaincu que la Sainte Vierge avait suscité, la Société de Marie comme une petite armée, engagée sous sa bannière pour « Recommencer une nouvelle Eglise. En faisant le bien, mais Inconnus et comme cachés. Sans tambours ni trompettes.
Les congrégations religieuses devant l‘urgence d’une réforme.
Le monde dans lequel ont vécu un grand nombre de religieuses et de religieux, de la génération du Concile Vatican II, connaît de si profondes transformations qu’ils ne peuvent continuer à vivre et à envisager l’avenir en maintenant, coûte que coûte, les formes et les pratiques qui ont donné corps à leur engagement à la suite du Christ.
Pour avancer sur la voie d’une réforme et d’un renouveau, il est nécessaire de quitter ses habitudes, un certain confort social et spirituel, et aussi, d’aller à la rencontre de celles et ceux qui, en des lieux divers, inventent des réponses alternatives et promeuvent de nouveaux modes de vie où sont réconciliés les processus de production et de consommation des biens sans exploitation des personnes, sans gaspillage des ressources, tout en les partageant avec tous.
Si les chrétiens, et parmi eux, les religieuses et les religieux, veulent être au rendez-vous de l’histoire qui s’écrit sous leurs yeux, ils ne peuvent rester campés sur leurs anciennes postures mais, en se laissant conduire par l’Esprit, ils doivent oser les ruptures nécessaires et entrer dans l’aventure, avec celles et ceux qui ouvrent des chemins d’espérance dans la famille humaine et qui inventent le projet évangélique dont ont besoin nos sociétés en genèse.
Il est également important de considérer que notre rapport au temps et à l’espace s’est profondément modifié, de même que notre mobilité et nos moyens de communication. Cela implique, en conséquence, un décentrement et une ouverture à d’autres univers culturels, religieux, géographiques, démographiques et à des modes de vie différents.
Le philosophe Bruno Latour propose une démarche pour avancer dans cette invention de l’avenir. Il s’agit de partir de la description de ce que je vis et de ce qui ne fonctionne pas ou plus, là où je suis. Ensuite, d’examiner, à mon niveau, comment je peux inventer une alternative, une solution pour sortir de ce disfonctionnement et redonner de la cohérence et de la pertinence aux choix que j’ai faits pour incarner, dans ma vie, le projet évangélique proposé par la vie religieuse. Me demander par exemple comment renouveler notre engagement à vivre le vœu de pauvreté en prenant en compte l’urgence d’adopter de nouveaux modes de vie, nécessaires pour conserver à notre planète son habitabilité pour tous. (cf. Laudato Si). Il me parait nécessaire de susciter des communautés qui adoptent des nouvelles pratiques de consommation, de communication, de dialogue intergénérationnel, d’accueil des étrangers.
Et que les candidats qui nous rejoignent aient fait une immersion durant plusieurs mois dans des tiers lieux ou des associations où s’invente concrètement des alternatives à nos modes de vie actuels, tel que l’éco hameau de la Bénissons Dieu ou le Campus de la transition, crée par la Sœur Cécile Renouard.
Diverses stratégies de réforme.
Il existe diverses stratégies de réforme dans l’Eglise qui est « Semper reformanda » toujours en train de se réformer. L’histoire nous apprend que ces stratégies ne sont pas toutes porteuses des réponses adéquates, pour relever les défis du temps considéré.
Nous pouvons les classer en trois grandes catégories.
Une première stratégie : Le retour au passé : « c’était mieux avant »
Un passé souvent idéalisé. Cette démarche aboutit à des échecs car elle ne répond pas aux nouveaux défis à relever. Et aussi parce qu’elle fige la vie religieuse dans des modèles, considérés comme immuables, au risque de confondre la forme et le fond et de réduire la sequela Christi à des manières de vivre, héritées d’une tradition séculaire. Or, nous le voyons bien aujourd’hui, la vie monastique, considérée comme la forme la plus ancienne et vénérable de la vie religieuse, connaît de nombreuses évolutions et transformations qui en assument l’héritage, tout s’incarnant dans de nouvelles formes. Car il n’est pas possible de s’ouvrir à un avenir en figeant la vie dans un espace et un temps donné mais dépassé. On ne pourra pas ainsi relever les nouveaux défis de notre temps.
Aujourd’hui, certains jeunes, en quête de certitudes, sont attirés par cette idéalisation du passé et croient y trouver une radicalité et des réponses à leur désir de rupture avec le monde dans lequel ils vivent. Ils sont prêts à tout et veulent s’engager avec enthousiasme et une grande générosité. Au risque de confondre l’idéal et la réalité. De même que la suite du Christ rencontré dans l’intime avec la défense de valeurs et d’un modèle social conservateur.
Une seconde stratégie : Tout Changer, faisons table rase du passé.
Dans le sillage des années soixante qui ont marqué un grand tournant dans nos sociétés et qui sont celles du Concile Vatican II, nous avons vu se développer de nombreuses initiatives qui ont donné naissance à des « communautés nouvelles. » Celles-ci se sont souvent présentées comme des alternatives au déclin des congrégations anciennes. Elles ont réuni, le plus souvent, des jeunes, hommes et femmes, vivant dans divers états de vie, consacrées ou non, et sous différentes modalités de vie commune. Par la suite, certains sont devenus clercs et d’autres ont repris la vie monastique, en s’installant dans d’anciennes abbayes. Après avoir connu un développement rapide, plusieurs de ces communautés nouvelles se sont trouvées confrontées à de graves crises de croissance, liées à une gouvernance inappropriée ou à des abus, constatés chez leurs fondateurs ou certains de leurs membres. Celles qui ont pu traverser ces crises sont celles qui, le plus souvent, ont su puiser dans la tradition et la spiritualité des vieilles congrégations une assise et des fondements. Par exemple, la Communauté charismatique du Chemin Neuf qui s’appuie sur la spiritualité ignatienne.
S’affranchir de la tradition vivante de la vie consacrée peut conduire à des impasses et à des désastres et avoir de graves conséquences pour les personnes, tout jetant le discrédit sur l’Eglise et la vie religieuse.
Une troisième stratégie : le renouvellement par la conversion personnelle et de nouvelles initiatives missionnaires.
C’est le chemin emprunté par un grand nombre de congrégations qui ont pu s’appuyer sur les grands textes post conciliaires comme Perfectae Caritatis, la déclaration sur la vie fraternelle en communauté et bien d’autres promulguées sous l’impulsion des papes et de la Curie romaine. Les congrégations religieuses ont été invitées à réviser, voire à réécrire leur Règle de vie ou leurs Constitutions et à mettre en place les réformes décidées au cours de leurs chapitres généraux. Cela s’est fait généralement dans les premières années de la décennie soixante-dix. Mais aujourd’hui, ces congrégations, longtemps portées par ce grand renouveau de la vie religieuse, se trouvent à nouveau interpellées par les profonds changements contemporains. Il leur faut reprendre, à nouveau frais, le travail de réforme.
Les périodes de renouveau qui jalonnent les parcours personnels sont particulièrement importantes pour faire la relecture de sa vie, fortifier sa foi et ouvrir à une plus grande disponibilité pour la mission.
Aux sources de l’avenir. Un patrimoine disponible à incarner.
L’Eglise reconnait une nouvelle congrégation quand elle discerne en elle l’Esprit Saint à l’œuvre et suscitant, en un temps et un lieu donné, des hommes et des femmes pour vivre en témoins de l’Evangile et répondre aux besoins des hommes.
Les spiritualités de ces congrégations sont les mille et une facettes d’un kaléidoscope. Elles expriment et incarnent le message évangélique. Reconnues par l’Eglise, elles en constituent le patrimoine. Les congrégations religieuses ont la mission de les incarner, à la suite de leurs fondateurs, dans le temps et dans l’espace. Elles en sont les intendantes et non les propriétaires. Ces spiritualités sont proposées à toutes celles et ceux qui veulent s’en inspirer pour vivre à la suite du Christ et avancer sur le chemin de la sainteté. Ce qui veut dire que ce patrimoine est une ressource qui doit rester disponible et accessible à tous. Et qu’il s’enrichit par l’apport de chaque génération, tout en temps s’acculturant dans de nouveaux espaces sociaux et géographiques. Il s’agit d’une tradition vivante qui peut nourrir l’existence de celles et de ceux qui aujourd’hui la choisissent pour vivre leur vocation de baptisés. Toutefois, les religieuses et les religieux sont en première ligne pour continuer de donner corps à ces spiritualités et en vivre au cœur de l’Eglise et de la famille humaine.
Les acteurs du changement.
Le renouveau de la vie religieuse est une entreprise de longue haleine et il convient de s’interroger sur celles et ceux qui en sont les acteurs et qui en ont la responsabilité.
En se rappelant le propos de Michel Crozier : « On ne change pas la société par décret. » Quelle articulation nécessaire entre les acteurs de terrain, ceux qu’on appelle « la base » et les responsables institutionnels qui exercent la gouvernance aux divers niveaux de la congrégation ? De même qu’entre les différents collaborateurs, engagés et mandatés pour le fonctionnement administratif et financier des communautés, avec les supérieurs religieux majeurs, responsables ? Enfin, quelle est la place et le rôle des personnes laïques associées qui partagent la spiritualité et la mission de la congrégation ?
Le renouveau ne peut s’envisager dans un statuquo ; il implique des changements qui doivent, notamment, s’inspirer des initiatives portées par quelques communautés pionnières, engagées sur de nouveaux chantiers missionnaires. Les Pères Maristes ont crée en Australie, en Thaïlande, en Turquie, des communautés engagées dans l’accueil des réfugiés, des migrants, des aborigènes, nommées communautés « Omnes Gentes » C’est le titre de la bulle pontificale de reconnaissance de leur congrégation par le pape Grégoire XVI : il y évoque le salut de tout le genre humain jusqu’aux extrémités de la terre et leur confie l’annonce de l’Evangile dans les îles d’Océanie.
Chaque congrégation, pour entreprendre sa réforme doit tenir compte de sa situation démographique et en mesurer les forces et les faiblesses. Aujourd’hui, les pyramides des âges sont inversées. Les aînés sont les plus nombreux, les actifs, entre 30 et 65 ans, beaucoup moins, tandis que les jeunes sont en petit nombre. Ces derniers viennent, le plus souvent, des nouvelles unités en développement dans les pays du Sud. Il convient de préciser le rôle des uns et des autres.
Les aînés ont un rôle important de passeur et de transmetteur. Jean Viard écrit que « les anciens ont une dimension de sages, de gardiens de la mémoire… ils sont le lien continu d’une société discontinue »cf : Un juste regard. pp. 251,52.L’aube. Ils peuvent apporter leur soutien et leurs encouragements à celles et de ceux qui seront chargés de la mise en œuvre des changements. Si, ceux-ci ne peuvent être entrepris sans leur participation, ces derniers peuvent être tentés de les bloquer et de vouloir maintenir les choses en l’état. Parfois aussi, il arrive que certains aînés soient habités par une sorte de résignation devant l’extinction de leur congrégation et l’abandon de certaines œuvres auxquelles ils ont consacré leur vie et ils demandent qu’on les laisse finir tranquillement leur vie. La plupart cependant suscitent l’admiration et le respect par leur humble fidélité jusqu’au bout.
Les 30-65 ans sont celles et ceux qui sont « aux affaires ». A la fois, très actifs dans leurs divers engagements et ministères et, en même temps, très engagés dans la gouvernance de leur congrégation. Ils sont très sollicités et souvent surchargés avec des agendas bien remplis, au risque de ne gérer que les urgences, sans avoir le temps de prendre du recul et de penser l’avenir.
Ce sont eux qui auront à engager des décisions difficiles et à faire des choix. Pour cela, il leur faut être spirituellement bien préparés, avoir une vision et une foi inébranlables en l’avenir. Et se laisser conduire par l’Esprit Saint.
Les jeunes.
La plupart des jeunes dans les congrégations viennent des pays du Sud, alors qu’ils sont très peu nombreux à rejoindre les communautés dans les pays de vieille chrétienté.
Nous sommes dans un moment historique pour ces jeunes. Ce rendez-vous, ce Kairos, les interpelle et leur demande de se rendre disponibles pour devenir les bâtisseurs d’un avenir pour la vie religieuse.
Il ne s’agira pas, pour eux, de seulement continuer comme avant, ni de servir de force d’appoint, permettant de poursuivre, encore quelque temps, des œuvres existantes, mais de se préparer à inventer des modes de vie religieuse enracinés dans la tradition vivante et qui répondent aux défis de notre temps. Tout en ouvrant de nouveaux chantiers d’Evangile. A titre d’exemple, Les jeunes africains sont particulièrement attentifs à la vie dans des communautés intergénérationnelles avec les aînés dont ils ont un grand souci. Ils accordent également un grand soin à la qualité des célébrations liturgiques.
Pour devenir ainsi les acteurs du changement et du renouveau, ils devront pouvoir compter sur la confiance et le soutien de leurs aînés. Et il leur faudra renoncer aux conformismes et à certaines de leurs aspirations personnelles. Ils ne pourront accomplir cette mission que s’ils sont y sont bien préparés par une formation humaine, intellectuelle et spirituelle qui les attache fortement au Christ et les enracine dans la tradition vivante de leur congrégation. Leur accueil requiert un grand discernement de la part des responsables et des formateurs qualifiés.
Dans un proche avenir, la plupart des responsables de congrégation seront originaires des pays du Sud. Ils auront la lourde responsabilité d’assumer l’héritage et de faire route avec leurs compagnons ou compagnes pour oser l’aventure de l’invention de l’avenir.
Je suis convaincu que, s’ils sont bien préparés, spirituellement et intellectuellement et capables de vivre en communauté internationale, ces jeunes sont une chance et un don de Dieu, offert aux congrégations pour vivre l’espérance d’un avenir pour la vie religieuse.
Ils doivent aussi pouvoir compter sur le soutien et la contribution de nombreux laïcs associés à la mission avec lesquels ils auront à travailler tout au long de leur vie.
Oser l’avenir et redevenir pèlerins.
Le renouveau de la vie religieuse ne peut s’opérer en respectant scrupuleusement une série de consignes et de procédures, comparables à une recette de cuisine qui, si elle est bien exécutée, produira un excellent résultat.
Il s’agira plutôt d’une aventure de la confiance, en espérant contre toute espérance. C’est à un nouveau pèlerinage que nous sommes conviés. L’entreprise exige de partir léger, sans trop de bagages, juste l’essentiel et de consentir à l’imprévu et à l’inattendu. Comme Abraham, notre père dans la foi, quitter son pays, se quitter soi-même et prendre la route, habités par la Parole et conduits par l’Esprit qui fait avancer dans la nuit.
Il n’y a pas de formule. Il n’y a pas de recettes, mais il y a un chemin.
Au commencement, un appel de Dieu qui attend notre réponse. Au commencement, une invitation à prendre la route. Le Christ nous accompagne sur le chemin. Il est venu nous apprendre à aimer à la manière de Dieu. Il nous invite à sa suite : « Suis- moi. Venez et voyez. »Comme les premiers compagnons, laissons nos barques et nos filets.
En consentant à l’imprévu, aux surprises, à l’inespéré, à l’inouï.
Olivier Laurent